Présentez-vous ?
Je m’appelle Claire Du Sablon. J’ai 84 ans. Je vis à Baie-Comeau depuis 45 ans passés. En venant m’installer à Baie-Comeau, j’ai rencontré mon conjoint actuel qui se nomme Jean Lévesque. Un homme bien impliqué dans sa communauté. J’ai 4 enfants, qui sont grands maintenant, ma plus vieille a 61 ans. Je suis aussi grand-mère de 5 petits-enfants, 3 filles, 2 garçons et je suis arrière-grand-mère de 3 petites filles. J’ai enseigné une bonne partie de ma vie et j’ai pris ma retraite à l’âge de 45 ans pour rester à la maison.
J’ai fait beaucoup de bénévolat parce que j’avais du temps, entre autres au centre de femmes, parce que je suis féministe depuis l’âge de 15 ans. Je me suis aperçu que j’étais féministe lorsque j’ai remarqué que mon frère, qui avait seulement un an plus jeune que moi, pouvait sortir le soir et que moi je n’avais pas le droit. De plus, je me trouvais beaucoup plus sérieuse que lui. À ce moment, j’ai commencé à comprendre qu’il y avait une différence très grande entre le traitement qu’on réservait aux hommes et aux femmes.
Autre anecdote, j’avais 16 ans, lorsque j’ai reçu mon premier chèque de paye. Grâce à cet argent, j’ai pu m’acheter une bicyclette de fille, avec la permission de mes parents puisqu’à cette époque, on donnait notre argent à nos parents. Comme je devais faire la vaisselle après les repas, contrairement à mes frères, et qu’il n’y avait pas de cadenas pour barrer ma bicyclette, ce sont eux qui l’utilisaient au quotidien. Depuis cette époque, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que les droits des femmes soient améliorés.
Quelles sont vos occupations professionnelles ?
J’ai été enseignante. J’ai enseigné longtemps à l’élémentaire, au primaire. J’ai ensuite déménagé sur la Côte-Nord pour enseigner le théâtre. J’ai enseigné cette matière à l’école secondaire Serge-Bouchard pendant 5 ans. Mon poste a été repris par un autre enseignant puisque je n’avais aucune ancienneté. Je ne pouvais pas retourner au primaire parce qu’en 1980, il y avait trop d’enseignants. C’est à ce moment que mon conjoint m’a offert la possibilité d’arrêter de travailler, on a vécu avec un salaire. J’ai fait beaucoup de théâtre avec les femmes et avec les aînées. J’ai été metteure en scène pendant une quinzaine d’années.
Aujourd’hui, je m’occupe de l’université des aînées, des lectures vagabondes. Nous sommes un petit groupe et nous choisissons de beaux textes, des récits, des poèmes et nous allons les lire à la maison des pionniers aux personnes âgées et au château.
Qu’est-ce que le féminisme représente pour vous ? À quel moment votre côté féministe est interpellé dans votre quotidien ?
Petite fille, j’étais l’aînée de la famille, obligée d’aider ma mère avec les tâches ménagères, contrairement à mes frères qui n’avaient à peu près pas de responsabilités. Je me rendais bien compte qu’il y avait deux poids, deux mesures. Je voyais bien que mon père avait beaucoup plus de liberté que ma mère. À 20 ans, je me rendais compte que les hommes avaient plus de liberté que les femmes. Quand on était jeune fille et qu’on avait un amoureux, si la femme tombait enceinte lors d’une relation sexuelle, ce n’était jamais la faute du gars. C’est la fille qui avait tenté son partenaire. Personnellement, ça ne m’est jamais arrivé, j’ai été chanceuse, mais c’était la réalité de l’époque. Quand on avait un amoureux dans ce temps-là et qu’on disait non, il pensait que c’était peut-être. Ce n’était pas facile. Après j’ai fait partie d’un syndicat et à l’intérieur de celui-ci, on était sensibilisé au peu de droits détenus par les femmes. C’est comme ça que je suis devenue féministe et que je vais mourir en étant féministe.
Appuyez-vous les différentes luttes féministes ? Si oui comment ?
Oui, mais je ne fais plus partie d’aucun groupe féministe, même si je vais parfois à des réunions. Aujourd’hui, je continue mon militantisme par le biais de Facebook. Il ne passe pas une journée sans que je partage un article ou une pensée pour rappeler qu’il y a toujours deux poids, deux mesures. Encore ce matin, j’ai diffusé un article de journal qui rapportait que l’institut des statistiques du Québec avait analysé les données des dernières années et que l’année dernière l’écart de salaire horaire entre les garçons et les filles était de 3$.
Le mouvement qui m’interpelle beaucoup aujourd’hui est le mouvement Moi aussi, un mouvement qui dénonce les abus de pouvoir et sexuel subis par les femmes. La journée ou le mouvement #moiaussi a commencé au Québec, ce sont des centaines de femmes qui ont dénoncé sur les réseaux sociaux. À l’école, vous avez dû apprendre, j’espère, que sans consentement c’est non. C’est un mouvement qui me tient beaucoup à cœur.
Êtes-vous pour les quotas ?
Dans certains cas. Je suis plus pour les quotas dans le monde politique, car si on n’en met pas, il n’y aura pas beaucoup de femmes malheureusement qui se présenteront en politique. Il y a l’expression les Boys club, qui signifie que s’il y a 80 personnes qui gèrent un parti, ils vont toujours avoir tendance à aller chercher des amis, des gens qu’ils connaissent pour se présenter. On en a vu assez des ministres et des députés incompétents. Dans le moment, il y a plus de filles scolarisées universitaires que de garçons. L’argument couramment utilisé à compétence égale pour l’embauche des hommes ne tient plus la route. Des femmes compétentes qui peuvent se présenter il y en a. Il faut juste faire plus de place, et ce quitte à enlever un, deux et même trois hommes.
Le féminisme est-il encore nécessaire de nos jours ? Pourquoi? Quels sont les enjeux ?
Oui, car dès que nous ne nous occupons pas de nos affaires, nous reculons. Le principal enjeu est économique. Par exemple, dans un couple où les deux travaillent, le gars chez Alcoa avec un plus gros salaire et la fille dans une boutique de linge au salaire minimum, le gars aura tendance à décider de tout ce qui rentre dans la maison. C’est lui qui gagne l’argent. Encore aujourd’hui, des couples vivent cette réalité. C’est pour cela que l’égalité économique est très importante.
En tant que féministe, j’encourage fortement les filles à se scolariser ! Les filles qui décrochent auront plus de misère à se trouver un emploi payant et si elles ont des enfants, elles seront toujours dépendantes d’un père financièrement. Il y en a encore des filles qui ont de la misère à avoir l’équilibre budgétaire une fois séparées. Les statistiques le disent, les mères monoparentales ont plus de difficulté à avoir des bonnes conditions de vie que les pères monoparentaux.
Selon vous y a-t-il des jouets plus pour les filles et plus pour les garçons ?
Dans les groupes féministes que je fréquentais il y a 40 ans, on en parlait et on en parle encore. Je trouve que concrètement, ça n’a pas changé grand-chose. De plus en plus de parents poussent leurs enfants à jouer avec des jouets, peu importe le genre attribué au jouet. C’est une question de commerce aussi, les petits chandails rose et bleu sont passés dans les mœurs. Je ne militerais pas trop pour ça.
C’est comment élever des enfants en 2019 ? La répartition des tâches en 2019 et dans votre demeure?
Pour mon conjoint et moi-même, la répartition des tâches se fait naturellement. On a autant de loisirs l’un que l’autre. Dans les familles autour de moi, je perçois que les jeunes hommes d’aujourd’hui prennent plus de place, mais ce n’est pas encore 50/50.
Quels sont les enjeux féministes dans l’éducation de vos enfants ?
L’enjeu sur l’éducation des enfants est de leur laisser l’option de choisir ce qu’ils veulent entreprendre dans la vie. Dans mes 4 enfants, certains ont fait un doctorat, d’autres sont allés à l’école moins longtemps, mais pour moi ils sont tous égaux.
On sait que l’adolescence est une période intense au niveau des émotions et surtout de l’amour. Des premières fois de tous les horizons, relationnels, sexuels, etc., en ce sens quels conseils donneriez-vous aux ados d’aujourd’hui ?
Je vous trouve chanceux les adolescents d’aujourd’hui de vivre dans un monde plus libre. D’avoir le choix du moment où vous voudrez avoir votre première relation sexuelle. En revanche, il faudrait vous offrir une éducation sexuelle adéquate qui va de pair avec cette grande liberté. Parlez-en, n’hésitez pas à en parler entre autres à votre partenaire. À part la technologie, l’être humain ça ne change pas beaucoup; l’amour, le désir, la beauté, l’attirance, ça se ressemble, peu importe l’époque.
Auteur: Charlie Martineau, Mariétou Frédérique Timbely, Véronique Beaudin
Photographe: Maxyme Beaulieu, John-Edward Prada
Correction: Marie-Ève Duclos